mercredi 5 mars 2008

feuilleton théorique 4

(réaction de Charles-Mézence Briseul, 19/11/07)

[…] Ton idée de définir l’espace poétique est intéressante. J’en retiens que l’espace poétique est le lieu et le moment où le monde intérieur de l’artiste se resserre et se dispose en vue du poème. Ce qui le distingue de l’imaginaire (stock brut) et de la scène du poème (paysage, décor). Tu désignes les structures a priori de la création poétique comme Kant définissait les conditions a priori de l’expérience : l’espace et le temps. L’espace poétique est la condition de possibilité de toute poésie. Le poème-poème donne forme à l’espace poétique en lui donnant un cadre, le champ, et un temps, le chant.
Mais dis-tu le champ fixe le chant. Tu insistes beaucoup sur l’espace (du poème), sur le cadre au détriment du temps, seul le roman «bascule fatalement dans le temps, il est aspiré dans la temporalité». Roman et musique (mais aussi cinéma, voir ce que dit Tarkovski là-dessus) seraient dépliement quand la poésie seule est déploiement. Là je ne te suis plus.
Je comprends bien pourquoi tu as besoin que le poème soit plus dans un cadre que dans une fuite car tu cherches à tout prix le centre (point à redéfinir rigoureusement), le trou qui t’ouvrira à ce que tu cherches vraiment, au fond. Tu parles du coup d’œil qui embrasse dans un seul mouvement le tableau, et il n’y a pas de coup d’oreille… Pour des raisons aussi simples que techniques, le coup d’œil en poésie est dans le meilleur des cas un rêve (chez Garnier par exemple). Il y a le flux civilisationnel de la syntaxe et le choix de la prose ou du vers n’y pourra rien changer. Je crois que ce flux tout comme la scission entre le mot et ce qu’il signifie jettent le poème dans le temps. Moins certes que pour la musique, le roman ou le cinéma, mais quand même. Oui, je suis d’accord avec toi, la force du poème-poème, c’est bien de cadrer l’espace poétique et de lui donner un temps autre, mais temps quand même. Peut-être est-ce là qu’il faut réfléchir : quel est ce temps autre dans le poème-poème ?
Ce temps autre assez simplement peut être la nostalgie (deux poèmes seulement, dans Les Fleurs du Mal sont au futur) et bien sûr ce temps c’est le présent, l’attention, le souci de ce qui est en tant que ce qu’il est (et non parce qu’il vaut ou vaudra quelque chose). N’oublie pas que dans ton grand poème Hölderlin au mirador les temps du passé dominent, même si tu commences par un impératif (lecteur, fais donc toi-même l’expérience du temps qui s’arrête, sois attentif, à lire ma nostalgie qui chante encore, tu en seras bien persuadé). C’est uniquement parce que le poème-poème doit nous mettre le groin dans la pâte du réel qu’il n’a que faire du futur ou du conditionnel. Seuls le passé qui culpabilise, le présent qui est souci de ce qui est en tant qu’il est, et l’impératif qui nous met la tête dedans, priment.
Autre élément important : l’image. C’est bien elle, peut-être seras-tu d’accord, qui troue le poème, etc., c’est bien elle, oui, qui brise la temporalité temporelle, si tu veux, pour l’autre temporalité, celle de l’être, qui n’en est plus une. Alors l’image poétique, comme écart (ce qui présuppose un point d’appui, à évaluer, donc), n’a plus lieu d’être ; seule compte la “métaphore vive”, l’image qui ne transfère plus rien d’un point à un autre, mais qui seulement tente de coïncider avec l’être qui ainsi se donne. L’image serait alors approximation, tâtonnement, éclat fugitif, mais jamais, non, plus jamais grand écart entre le petit monde prosaïque et le grand monde des grands poètes.
Reste enfin à se demander comment l’image peut devenir image et non plus trope. Tes réflexions sur l’espace poétique sont une piste sérieuse. Ça permet de mettre hors course les formalistes et de penser les conditions d’accueil de l’image. Mais le temps est là, vieux reste du péché originel, non ?

2 commentaires:

Jean Daumont a dit…

Bonjour... Simple prise de contact pour tester la possibilité d'échanges... A bientôt, "si possible" ...

le corridor bleu a dit…

c'est possible!