vendredi 28 mars 2008

un poème d'antoine brea illustré par jean-pol charles 2


J’ÉCOUTE LA MESSE
À LA RADIO
J’ÉCOUTE


LA MESSE
DES MORTS
LES PAUVRES MORTS


JE RÉFLÉCHIS À
SIMON LE MAGE


SIMON "LOIN
DU CHEMIN DU
SEIGNEUR"
SELON LA TRADITION


SIMON
DÉCHIRÉ EN
ESPRIT
SIMON ÉLECTRIFIÉ
VIVANT
DEVANT LA MORT
COMME LES POÈTES
MAGICIENS
COMME LES ACTEURS BURLESQUES
COMME BUSTER
KEATON
QUI SE TUE
DANS CHAQUE FILM
SOI-DISANT
POUR DE RIRE


LES ACTES DES APÔTRES DISENT:
SIMON FUT BAPTISÉ DE PHILIPPE
– MAIS ON DOIT SE MÉFIER DES ACTES
QUI GLORIFIENT LES
ASSASSINS


SIMON FUT BAPTISÉ DE PHILIPPE
SIMON RENCONTRA PIERRE
SIMON ADMIRA PIERRE
SIMON VOULUT ACHETER À PIERRE
LE POUVOIR DE FAIRE
LES MIRACLES


SIMON FIT LES MIRACLES
MALGRÉ OU GRÂCE À PIERRE
– L’HISTOIRE N’EST PAS SI CLAIRE


LES ACTES DE PIERRE
DONNENT LE RÉCIT
DU MEURTRE DE
SIMON LE MAGE


SIMON
EXÉCUTA
UN MIRACLE DE
SA MAGIE
UN JOUR
SIMON LE MAGE
EXÉCUTA
UN MIRACLE
DE SA MAGIE
DEVANT L’EMPEREUR
CLAUDE
SUR LE FORUM


ET SIMON
LE MAGE
EXÉCUTA UN MIRACLE
DE SA MAGIE
UN JOUR
SIMON EXÉCUTA
UN MIRACLE À FAIRE DRESSER
LES FOULES
À FAIRE DRESSER LA CROIX
DES PUISSANTS
PAR LES FOULES
CE DEVANT CLAUDE
L’EMPEREUR
SUR LE FORUM


LES ACTES DISENT:
SIMON LE MAGE
S’ÉLEVA DANS L’AIR SOUDAIN
PAREIL AUX ANGES DE DIEU
SIMON LE MAGE
S’ÉLEVA DANS L’AIR SOUDAIN
TEL UN OISEAU
ET SIMON LE MAGE
S’ÉLEVA DANS L’AIR SOUDAIN
TEL
SUPERMAN


PIERRE ET PAUL
ASSISTÈRENT AU MIRACLE
DISENT LES ACTES
ET PIERRE ET PAUL PRIÈRENT FORT LE SEIGNEUR
EN SE TENANT LES MAINS
LES APÔTRES PIERRE ET PAUL PRIÈRENT FORT LE SEIGNEUR
EN SE FAISANT COULER LE SANG DES PAUMES
DES MAINS
LES AYANTS DROIT DE CHRIST PRIÈRENT FORT LE SEIGNEUR
EN SE BROYANT LES JOINTURES DES POIGNETS
ET ILS MÉDITÈRENT LE MEURTRE DE
SIMON LE MAGE
DANS LE RITE DE PRIÈRE


AINSI, LE SEIGNEUR QUI A TOUT POUVOIR
SUR LES ÂMES FUT PRIÉ
EN SORTE QU’IL
ARRÊTÂT L’INFAMIE DE SIMON


CE JOUR-LÀ
LA PRIÈRE MARCHA
CE JOUR-LÀ
ELLE MARCHA
LE SEIGNEUR SE RENDIT À LA PRIÈRE
DES FIDÈLES DE CHRIST
LA PRIÈRE NE MARCHAIT PAS TOUJOURS
MAIS CE COUP-CI, OUI


SIMON S’ÉLECTROCUTA EN PLEIN CIEL
SIMON DÉPENDU DU CIEL PAR LA
BOUCHE DES APÔTRES
PAR LA BOUCHE À PRIÈRES
DES APÔTRES
ET LES BOUCHES ROMPIRENT LES REINS DE SIMON
PLUS SÛREMENT D’UNE DÉCHARGE
DE FORT CALIBRE


SIMON ASSASSINÉ
PAR LES FILS DU SAUVEUR
SIMON MIS À MORT
COMME
UNE BÊTE
DU CIEL


SIMON LE MAGE
TOMBA À TERRE
BRUTALEMENT
DISENT LES ACTES


ET SIMON NE TARDA PAS À MOURIR
SA TÊTE PLEINE DE SANG
ÉCLABOUSSANT L’EMPEREUR



CI-GÎT LA MORT
TUÉE ET ENFERMÉE
DANS LA BOUCHE
D’ANTOINE BREA

VIVANTS, PRIEZ POUR ELLE
ELLE DORT À PRESENT
ELLE EST SOUS LA TERRE
ELLE S’EST BIEN BATTUE

vendredi 21 mars 2008

un poème d'antoine brea illustré par jean-pol charles 1

EMPÊCHE LES ÂMES D’HIER
DE ME MÂCHER
LES OS
COMME DU PAIN NOIR



LE MATIN QUAND J’URINE
S’OUVRENT ENTRE MES PIEDS NUS
DE GÉANTS GOUFFRES BLANCS
DES VENTRES DE BALEINES
OÙ S’ÉPANCHE MON ÂME
EN CASCADES FORMIDABLES
EN LACS DE CHAIR VIVE
EN TROUPEAUX DE NOYÉS
EN ENVOLS D’OS BLANCHIS
EN BANCS DE MORTS CHAULÉS
QUI ONDOIENT
ODORISENT
QUI POISSONNENT
ET ME PORTENT
LE CŒUR
AU BORD DU CRUCIFIX



J’AI FAIT UN RÊVE
MON CORPS N’EST QU’UNE MAISON VIDE
LES OISEAUX Y ONT PRIS POSITION


L’AIR EST TOUT BLANCHOYÉ DE CRIS
SANG DE POULET
CARCASSES NUES
ET DÉJECTIONS
ME JONCHENT L’INTÉRIEUR


ÇA S’AGITE LÀ-DEDANS
EN GRANDS ÉBOURIFFEMENTS DE PLUMES
ON POURRAIT CROIRE DES ANGES
TOUTES CES PLUMES
MAIS NON
CE SONT DES OISEAUX
DESCENDANTS
DE DINOSAURE
L’ŒIL ÉBLOUI
PEAU CALLEUSE
ET JAMBES CHAUVES


JE NE SAIS PAS CE QUE ÇA SIGNIFIE
CE RÊVE
DES VOLATILES
À MON AVIS CE N’EST PAS BON SIGNE
MON CORPS ENVAHI
DE VERMINE
FONDUE DU CIEL
ET PERCHÉE SUR MES OS



CE MATIN
UN MESSAGE
DANS LES CIRCUITS
DÉMON DE MON COMPUTER

MESSAGE
UN INCONNU DÉMON DE MON PASSÉ
FANTÔME RENDU
À L’EXISTENCE

ET SON OMBRE BARAGOUINE
DANS LE MESSAGE
DES MOTS EN LANGUE PURE:
"VIENS
VIENS
REJOINS-MOI DANS
LE LIVRE DES VISAGES
APPROCHE TA FACE DE MA
FACE DE BOUC
DIEU RÈGNE SUR NOS CŒURS
CAPRINS"
TOUT ÇA EN BARAGOUIN
QUE J’AI PU DÉCHIFFRER
OU À PEU PRÈS

J’AI RÉPONDU
DIT NON L’OMBRE
MERCI
NE TE DÉPENSE
PAS POUR MOI
NE PASSE PAS TES SERPENTS
POUR DES COULEUVRES
NE VIENS PAS ME METTRE LE FEU AU FEU
TU NE M’ES PAS GRAND CHOSE
TA MORT NE M’EFFRAIE PAS
ET TA FIGURE N’EST PAS LOGIQUE



JE N’AI PAS D’OMBRE
J’AI BEAU ME RETOURNER
JE NE VOIS RIEN PENDU À LA POINTE
DE MES PIEDS
PAS D’OMBRE POUR ME
COURIR DERRIÈRE


SIGNIFICATION?
L’OMBRE EST UNE COPIE AU CARBONE DE TA VIE
L’OMBRE EST CETTE DENTELLE DE VIE QUI S’ACCROCHE À TON DOS
COMME LA TRAÎNE DES MARIÉES
L’OMBRE EST ENCORE UNE PRÉSENCE
POUR L’ÂME SEULE QUI S’ÉPLORE DEVANT LE FEU


JE N’AI PAS D’OMBRE
JE MARCHE SANS FILET
DIRECTEMENT SUR LE SOLEIL
JE MARCHE LA PEAU NUE
BLANCHE AUX ÉPAULES
JE MARCHE SOUS LE FOUET
EXPOSÉ AUX COLÈRES DE MILLE VISAGES
JE PEUX TROUBLER À TOUT INSTANT LA SURFACE DU CIEL
JE PEUX PLEUVOIR DU SANG AUX YEUX DE TOUS
JE N’AI PAS D’OMBRE
JE SUIS VIVANT
MAIS PAS TANT QUE ÇÀ
PAS D’OMBRE
PERSONNE



TOUS LES MORTS
NUÉES DE MORTS
DÉPORTÉS
EN BÉTAILLÈRES
FALLAIT LES FAIRE SORTIR
DE TERRE
LES RENDRE À LA
LUMIÈRE
LEUR TIRER DU PLAFOND
LE CLOU
QUI LES ENNUAGE


ET LES VIVANTS
DEHORS
S’ÉBAHISSENT DE LES VOIR
BRAS EN AVANT
SUR LES CHEMINS
EN PLEIN SOLEIL
SOUFFLANT
PESTANT
DANS LA POUSSIÈRE
COMME DES BESTIAUX
PRIS DE THROMBOSE
ÉCRASÉS
FATIGUÉS
MAIS LAVÉS


AH LES MORTS
LONGS CHARROIS DE MORTS
CHAHUTÉS
DE GÉHENNE
EN GÉHENNE
FALLAIT LEUR FAIRE LA GRÈVE
POUR VOIR ÇÀ
STOPPER LES MÉTROS QUI
LES GLACENT
FALLAIT LEUR TRAIRE L’EAU BLANCHE DE MORT
À LA VEINE
POUR VOIR COULER
DE LEURS YEUX
LA PRIÈRE:


"Ô CIEL
AIDE-MOI
À REPOUSSER LA MORT
QUI ME TOURNE DANS LE CŒUR
COMME UN BANC DE MORUES
EMPÊCHE LES ÂMES D’HIER
DE ME MÂCHER
LES OS
COMME DU PAIN NOIR


Ô CIEL
À GENOUX
JE SUPPLIE
ÉCARTE-MOI LES MORTS"

mercredi 5 mars 2008

feuilleton théorique 4

(réaction de Charles-Mézence Briseul, 19/11/07)

[…] Ton idée de définir l’espace poétique est intéressante. J’en retiens que l’espace poétique est le lieu et le moment où le monde intérieur de l’artiste se resserre et se dispose en vue du poème. Ce qui le distingue de l’imaginaire (stock brut) et de la scène du poème (paysage, décor). Tu désignes les structures a priori de la création poétique comme Kant définissait les conditions a priori de l’expérience : l’espace et le temps. L’espace poétique est la condition de possibilité de toute poésie. Le poème-poème donne forme à l’espace poétique en lui donnant un cadre, le champ, et un temps, le chant.
Mais dis-tu le champ fixe le chant. Tu insistes beaucoup sur l’espace (du poème), sur le cadre au détriment du temps, seul le roman «bascule fatalement dans le temps, il est aspiré dans la temporalité». Roman et musique (mais aussi cinéma, voir ce que dit Tarkovski là-dessus) seraient dépliement quand la poésie seule est déploiement. Là je ne te suis plus.
Je comprends bien pourquoi tu as besoin que le poème soit plus dans un cadre que dans une fuite car tu cherches à tout prix le centre (point à redéfinir rigoureusement), le trou qui t’ouvrira à ce que tu cherches vraiment, au fond. Tu parles du coup d’œil qui embrasse dans un seul mouvement le tableau, et il n’y a pas de coup d’oreille… Pour des raisons aussi simples que techniques, le coup d’œil en poésie est dans le meilleur des cas un rêve (chez Garnier par exemple). Il y a le flux civilisationnel de la syntaxe et le choix de la prose ou du vers n’y pourra rien changer. Je crois que ce flux tout comme la scission entre le mot et ce qu’il signifie jettent le poème dans le temps. Moins certes que pour la musique, le roman ou le cinéma, mais quand même. Oui, je suis d’accord avec toi, la force du poème-poème, c’est bien de cadrer l’espace poétique et de lui donner un temps autre, mais temps quand même. Peut-être est-ce là qu’il faut réfléchir : quel est ce temps autre dans le poème-poème ?
Ce temps autre assez simplement peut être la nostalgie (deux poèmes seulement, dans Les Fleurs du Mal sont au futur) et bien sûr ce temps c’est le présent, l’attention, le souci de ce qui est en tant que ce qu’il est (et non parce qu’il vaut ou vaudra quelque chose). N’oublie pas que dans ton grand poème Hölderlin au mirador les temps du passé dominent, même si tu commences par un impératif (lecteur, fais donc toi-même l’expérience du temps qui s’arrête, sois attentif, à lire ma nostalgie qui chante encore, tu en seras bien persuadé). C’est uniquement parce que le poème-poème doit nous mettre le groin dans la pâte du réel qu’il n’a que faire du futur ou du conditionnel. Seuls le passé qui culpabilise, le présent qui est souci de ce qui est en tant qu’il est, et l’impératif qui nous met la tête dedans, priment.
Autre élément important : l’image. C’est bien elle, peut-être seras-tu d’accord, qui troue le poème, etc., c’est bien elle, oui, qui brise la temporalité temporelle, si tu veux, pour l’autre temporalité, celle de l’être, qui n’en est plus une. Alors l’image poétique, comme écart (ce qui présuppose un point d’appui, à évaluer, donc), n’a plus lieu d’être ; seule compte la “métaphore vive”, l’image qui ne transfère plus rien d’un point à un autre, mais qui seulement tente de coïncider avec l’être qui ainsi se donne. L’image serait alors approximation, tâtonnement, éclat fugitif, mais jamais, non, plus jamais grand écart entre le petit monde prosaïque et le grand monde des grands poètes.
Reste enfin à se demander comment l’image peut devenir image et non plus trope. Tes réflexions sur l’espace poétique sont une piste sérieuse. Ça permet de mettre hors course les formalistes et de penser les conditions d’accueil de l’image. Mais le temps est là, vieux reste du péché originel, non ?

un événement!


Une grande et belle publication!

Ivar Ch'Vavar & camarades
Le Jardin ouvrier
1995-2003


Voilà une magnifique anthologie qui en plus de respecter la pauvreté formelle de la revue fondée en 1995 par Ivar Ch'Vavar s'attache à nous offrir le rythme de la publication en feuilleton. On passe et repasse donc d'un auteur à l'autre en le retrouvant au détour d'un poème en construction.
Est-il besoin de rappeler que le jardin ouvrier se singularisa par la radicalité de ses recherches notamment sur le vers mais aussi sur l'image ou encore l'épopée. La revue publia entre autres Christophe Tarkos, St. Batsal, Charles Pennequin, Olivier Domerg, Laurent Albarracin, Nathalie Quintane, Louis-François Delisse, Christophe Manon, Antoine Boute, Konrad Schmitt, Lucien Suel, C. Edziré Déquesnes, Bernard Barbet, moi-même, liste encore longue…
Je ne peux que vous inviter à plonger dans cette étonnante aventure poétique. Avec en plus une illustration d'Annette Messager en couverture.

Critiques
de Nathalie Quintane sur sitaudis
du Journal non officiel de poésie
de Florence Trocmé sur poézibao
de Lucien Suel sur remue
de Laurent Albarracin sur le site de Pierre Campion
de Dominique Dussidour sur le site remue


Flammarion / 408 p. / 25 €
présentation de Philippe Blondeau
www.editions.flammarion.com

samedi 1 mars 2008

feuilleton théorique 3

(réaction de Laurent Albarracin dans une lettre à Ch'Vavar datée du 20/10/07)

Je te remercie de me traiter de jeune chien. Tu aurais quand même pu m’épargner le cul des vaches! Mais enfin oui, je suis assez d’accord avec ce que tu dis de ma manière : l’image m’intéresse quand elle naît, dans son surgissement, dans ce perpétuel renversement qu’elle est, pas tellement quand elle est installée dans un surplomb, dans ce qu’on pourrait appeler sa tour d’ébène n’est-ce pas et qui serait cette obscurité un peu hautaine à la René Char. Poète que je n’aime pas tellement (malgré les géniaux Feuillets d’Hypnos tout de même). Donc “ligne”, oui, je veux bien, même si ça n’est que la fulgurance et la verticalité qui m’intéressent et pas vraiment l’espace poétique dont tu parles, en effet.
Puisque tu nous demandes un avis, il me semble à moi que ton texte est assez clair (peut-être pas dans sa globalité puisque tu explores plein de directions, que tu pars un peu dans tous les sens, mais dans l’expression, dans la formation et la formulation des idées). En tout cas il est très riche. Plein de choses que j’ai aimées : la musicalité qui paradoxalement resserre le poème ; l’explicitation de la fameuse “explosante-fixe”, parfaite. Bien aussi la digression sur les poètes qui prétendent à l’immédiateté et qui finissent par conceptualiser (j’imagine que tu vises les Dupin, Du Bouchet?).
Quant au fond du propos, à savoir le poème organisé autour d’un centre qui serait en même temps le point de fuite, voilà un paradoxe qui me plaît bien. Autour duquel tu tournes avec des efforts d’analyse et de distinction fort louables! Et même si j’aurais tendance (tu connais mon goût) à préférer la tautologique fulgurance de la fin du 1er texte (le Réel est approprié à lui-même, j’aime), tout le reste est bien aussi qui précède cette abyssale synthèse quelque peu vertigineuse. (…)