lundi 30 juin 2008

un texte de mathieu brosseau

puisque toute langue doit être dite, comprise ou prise au dehors, saisie par l’abandon, par ce R tremblant jusqu’à l’os, reliquat de la matière indivisible.

puisque toute langue doit être dite par inter S sifflant les postures et variant les axiomes en autant de plaisirs.

puisque tout vigile est un chien, fortifiant les parures et les reports………. par tous les gestes réarmant qui se respectent : le T du trésor gardé.

puisque toute langue est dite quand le tic de l’horloge fait tac, quand le joint de l’œil et de l’oreille fait O. Argh ! La seule précision est celle du tir, les mots ont tous les sens du corps qui pose : FEU !

puisque la fiction est fusion dans l’emboîtement des signes cachés, alors pardonnez-moi mais je dois sortir chercher quelques silences à refroidir pour me fourrer des trous supplémentaires dans le gosier. Je reviendrai quand j’aurai des ailes, l’œil au dessus des manières et de la cendre brûlante plein la bouche.

puisque la langue ne se tait pas, si elle taisait je serais extérieur. Contre la chambre, le placard abrite des bruits de nature passive et mes mains les commentent en leur creux. Etranger à cet instant précis je suis.

puisque toute langue doit être dite pour repousser l’envahisseur hors de soi et puisqu’il faut tracer la frontière tout autour du puits que nous sommes… puisqu’il faut exister pour son domaine, alors vous m’excuserez mais il me faut aller forer le trou d’à côté ::: l’insoupçonné dehors vertical. Il y a là-bas tout un tas d’histoires qui ne se racontent pas.

lundi 23 juin 2008

qui vive de christophe manon 3

L’océan. Le ressac des vagues sur la grève.
L’écume en rythme irrégulier caresse les rochers.
Les bruits du monde viennent mourir sur ce rivage battu
par un vent légèrement iodé et chargé d’humidité.
Le soleil trône majestueux dans un ciel qu’aucun nuage
ne trouble et pose des reflets argentés sur l’étendue liquide.
Dans les colonnes d’air chaud qui montent de la surface de l’eau
les oiseaux planent en larges spirales ascensionnelles.

Ses longs cheveux noirs fouettés par le vent
frôlent tes lèvres, camarade. C’est une caresse
très belle et très douce. Son regard se perd
sur l’immensité de la mer. Tu observes
avec avidité son visage fin aux yeux sombres
et profonds, légèrement en forme d’amandes,
qui lui donnent un petit air asiatique. Tu l’observes
intensément. Aussi intensément que possible.

La mort rôde entre vous, indistincte et sournoise,
sans savoir encore quelle forme adopter ni lequel
de vous deux frapper en premier lieu. Tu voudrais
imprimer à tout jamais cette image dans ton esprit,
camarade. Faire une photo, à cet instant précis,
serait mal venu, une faute de mauvais goût.
C’est cependant ce qu’il te faudrait car tu ne fais
aucune confiance en ta mémoire toujours défaillante
et tu redoutes que disparaisse à jamais
le souvenir de cette précieuse minute.

Elle n’ignore pas combien tu l’aimes, camarade, combien
tu penses à elle dans tes nuits d’errance à travers les rues
délabrées des cités, combien tu rêves d’elle dans tes rares
moments de repos. Elle n’ignore pas que tu ne veux rien
oublier des instants qui vous ont réunis, que tu ne veux rien
perdre de ses baisers, de ses caresses, de son rire
moqueur, ni de ses longs silences qui te plongeaient
dans un profond désarroi. Votre histoire fut brève et violente
et vous vous êtes déchirés avec une sauvagerie de bêtes
féroces et cependant votre amour demeure infini et éternel.

Mais elle : tout à fait en dehors et ailleurs, lointaine,
sur le départ déjà, elle observe le ressac des vagues
avec la majesté distante des carnivores
qui semblent s’absenter soudain dans une méditation
douloureuse et immobile. Tu voudrais dire quelque chose,
camarade, lui adresser des paroles réconfortantes,
ébaucher un sourire, mais rien ne. Non rien.
Ton esprit est aussi vide que le ciel sans nuage. Aussi vide que.
Vous demeurez murés l’un et l’autre dans votre solitude.
Elle surtout. Surtout elle.
Seul le clapotis de l’eau sur les galets dresse un pont
invisible entre vous. Lien ténu qui s’effrite peu à peu.
Pourtant, une immense vague d’amour te submerge
à l’instant où le soleil disparaît derrière l’horizon.

Ses yeux ont embrasé ton cœur, camarade,
et toujours il battra au rythme de ses cils comme
lorsque dans vos étreintes tendrement furieuses ton regard
se noyait dans le sien. Tu sais maintenant qu’il n’y a pas
d’amour sans peines et que le bonheur a la saveur
brûlante de ses lèvres posées sur les tiennes.
Tu sais maintenant que votre amour est impossible
et qu’il n’en restera que des éclats de douleur
qui ne cesseront de t’infliger de nouvelles blessures, même
lorsque le temps aura cessé et que son souvenir ne sera plus
qu’une vieille image racornie et jaunie,
à peine lisible. Un simple mirage. Un reflet.
Alors l’absence pèsera, douloureuse et grise.
Tu le sais. Tu ne la reverra plus, camarade, et jamais plus
vos lèvres ne s’uniront. Jamais plus vos corps ne passeront
l’un sur l’autre. Jamais plus sa main ne cherchera
la tienne ni son regard ne croisera le tien.
Jamais plus vous ne. Plus jamais.
Tu as maintenant l’impression d’être infiniment ancien,
inhumainement vieux, parvenu au bord extrême de la vie,
et dans ce moment de profonde détresse savoir
qu’elle existe ne t’aide pas à trouver le monde moins laid.

Ton cœur est un tambour sans maître, camarade.
Ton cœur est un vaste cimetière, un espace de décombres
et de ruines où des ombres fantomatiques errent
en silence dans le silence. Alors te revient à l’esprit
le temps lointain où la guerre civile et le souffle
de la révolution mondiale n’avaient pas encore élevé
ce mur invisible et pourtant infranchissable entre
vos deux corps. Puis tout s’affaisse à nouveau
dans le présent très sombre.

[…]

mardi 17 juin 2008

à écouter

L'émission du jour au lendemain d'alain veinstein sur france-culture reçoit pascal boulanger vendredi 20 juin à 23h30 pour son livre fusées & paperoles.

samedi 14 juin 2008

à lire

Mathieu Brosseau publie la suite de ma dernière épopée sur son site plexus. Merci à lui.

mercredi 11 juin 2008

quart dans la nuit d'agnès gueuret

L’immensité des eaux l’immensité des cieux conversent l’une et l’autre à la clarté lunaire sous le regard du timonier qui tient la barre en connaisseur des vents et des courants marins. Est-ce en un livre étudié lu qu’il a compris par quel sentier au cœur des mers on peut passer sans se tromper d’orientation sans redouter de se perdre jamais sous les constellations?

Elle n’est ni marin ni mathématicien Sur aucun bâtiment jamais ne navigua Chez un ami un jour elle aperçut un livre intitulé «Se diriger en mer» avec auprès de lui d’autres titres semblables Chez son libraire aussi des ouvrages traitaient le même thème là encore innombrables Soudainement pourquoi son cœur s’est-il serré?

La mer immense et bleue se reflète en ses rêves sur la falaise blanche amarrée au soleil plantée qu’elle est sur une plage aux galets ronds La mer qui l’habite et la hante où donc l’a-t-elle appris? Dans un livre écrit d’encre où lettres et calculs retiennent l’attention guidant l’apprentissage?

Sous les constellations la barre entre les mains le timonier entend la proue fendre les eaux Le vent draine vers lui le goût iodé du souffle qui gonfle la voilure en l’imprégnant de sel Comme au sein du désert le silence et le puits jusqu’au déclin du jour poursuivent le nomade l’immensité des eaux l’immensité des cieux conversent l’une et l’autre au plus profond de lui signe laissant entendre voir où gît la connaissance

Les rayons diffusés par la lampe ce soir éclairent le feuillet où elle écrit laissant dans l’ombre l’ailleurs du monde Comme l’abeille va choisissant chaque fleur à son pollen à sa couleur à son parfum elle avait dû choisir aussi ses chemins de lecture laissant dans l’ombre ici et là tel sol fertile tel sentier de la mer telle piste de sable D’où lui vient la douleur de tant d’inconnaissance? D’où lui vient la douceur d’être en un lieu plantée et d’avoir pu au cœur des vents faire son miel?

mardi 3 juin 2008

réponse de louis-françois delisse à antoine brea

À cet Antoine Brea, blog et blagueur, disciple du commissaire de police Jean Rousselot, ni salut ni fraternité ! Non, je ne fus pas envoyé enchaîné ou sous l’uniforme, faire le coup de feu à Tataouine, ces années dans la case suffocante de l’I.F.A.N. de Niamey, sans polycopieuse pour reproduire le texte tamasheq, je recopiais ces poésies amoureuses des Touaregs du Hoggar, à 2000 km au nord du Niger. Si le seul auteur de ces traductions fut le P. de Foucauld, de 1905 à 1917, la seule édition en est, à ce jour, peut-être encore conservée aussi à l’université d’Alger (René Basset, imprimerie Carbonnel, Alger, 1925-30). Des citations de ces 2 volumes, congrues, ont paru dans Le Trésor de la poésie universelle, de Roger Caillois et Jean-Clarence Lambert (Gallimard, 1958, pp. 481-482), larges dans Chants touaregs, 200 poésies retenues par Dominique Casajus, pour leur historicité et leur ton épique (200 sur 570 notées par l’ermite du Sahara dont il confirme l’étonnante conversion à la poésie) (Albin Michel, 1997, reproduction du texte tamasheq, traduction et notes du P. de Foucauld).
Mon choix avait été de ne reproduire que la poésie lyrique et courtoise touarègue, aussi n’avons-nous donné les mêmes auteurs qu’une petite dizaine de fois, lui en 1997, moi en 1962 où ma copie complète était de 282 poésies, y compris de l’Aïr.
Mais cet Antoine Brea a lu mes Notes d’Hôtel et autres entretiens ? Et, tel Jean Rousselot dont Char dénonçait ses Vies de Nerval, Baudelaire, Verlaine « composées sur les plus infects rapports de police », tient à me peindre braqueur en France, marchand en Afrique, pauvre de moi ! Instituteur en contrat local 21 ans, voilà qui je fus, et j’y fondais ma famille. Je révélais l’architecture des Haoussas, et donnais encore des conférences à Zinder et Zaria sur les littératures orales et écrites de l’Afrique noire. Mais quand l’Unesco demanda mon détachement comme professeur de ces littératures, d’autres Brea, du BLACT, sans blague, Bureau de Liaison des Agents Culturels et Techniques, inventèrent que j’avais passé mes années 50-70 aux côtés de Fidel Castro et Ho Chi Minh ! Non, je n’ai été ni un pillard, ni un pirate. Un peu clandestinement syndicaliste.
Le talent de ces poètes et poétesses touaregs leur appartient, je les ai chacun nommés du nom complet (fils de, fille de) et daté selon Charles de Foucauld. Aucune de ces poésies n’a été attribuée de Louis à François Delisse, tout mon travail n’a été en Afrique que négatif, j’ai attiré l’attention au contraire sur le génie de ces poètes. Et aussi des artistes noirs, j’ai nommé les grands architectes haoussa : Malam Dandibi, Malam Illoua ; et souhaité que les arts nègres soient tirés de leur anonymat baoulé ou mandingue, il y eut là aussi une culture et des artistes pour la créer.


droit de réponse d'antoine brea

lundi 2 juin 2008

à lire


Comment le sujet lyrique peut-il chanter l’avènement délicat de son apparition ? Question un peu encombrante pour des réponses qui ne le sont pas moins. La tentative de Christophe Manon dans L’Idieu mérite d’être signalée. On ne lit plus des poèmes atomisés comme il avait pu nous donner à lire auparavant mais bien un long monologue où le chant essaie, parmi les multiples expérimentations sur la matière du langage, de se faire entendre. Que doit-il surmonter, ce chant ? Une langue tantôt meurtrie, bégayante, heurté, tantôt inventive, créatrice, à l’image de l’interligne qui augmente au fur et à mesure du livre pour rejoindre l’espace blanc de la page.
Christophe Manon nous livre (autant qu’il se livre) un prince Mychkine solaire, dont le corps s’étend aux confins du cosmos, au-delà des bavardages inutiles, pour surmonter les petits conflits, les grandes douleurs et se mesurer à la plus grande des joies, la sienne, afin de la dire, si cela est possible.

l'idieu de christophe manon
64 p. / 12 €
ikko

dimanche 1 juin 2008

à lire


Les méduses n’ont pas beaucoup de réalité, très peu d’être. C’est ce qui les rapproche du narrateur des Méduses d’Antoine Brea. Long monologue intérieur qui dit les liaisons amoureuses, les histoires de famille, la perte de soi-même. Etre quelqu’un ou quelque chose quand tout se délite autour de vous, en vous. On se prend à rassembler rapidement ce que nous sommes comme pour se rassurer en lisant ces Méduses écrites dans une très belle langue faite de légers glissements et incorrections subtiles. Je vous en recommande vivement la lecture.

méduses d'antoine brea
152 p. / 15 €
le quartanier