dimanche 10 février 2008

feuilleton théorique 1

IVAR CH’VAVAR

QUELQUES CONSIDÉRATIONS
ET PROPOSITIONS, PROVISOIRES,
SUR “L’ESPACE POÉTIQUE”

Qu’est-ce que “l’espace poétique” … Si l’expression correspond bien à quelque chose, il me semble qu’elle doit désigner alors l’espace du regard mental, intérieur ; elle porterait sur la “visualisation”, donc l’imagination (mise en images mentale ). Il ne s’agit pas de l’espace du poème, qui serait, lui, le paysage, ou la scène, du poème fait.
En conséquence, on va parler d’imagination. Ce n’est pas l’imaginaire en tant que stock d’images, avec ses thèmes, etc., ni même comme monde, qui m’intéresse ici, mais l’imagination comme puissance à l’œuvre, et singulièrement quand elle se met à l’œuvre dans le cadre du poème, ou avec déjà ce cadre en vue.
Je fais part de mon expérience : avant de “penser” poème, l’imagination cherche où elle est, sur quel versant du monde poétique elle se trouve. Elle ne cherche pas d’abord à se carrer dans la forme du poème, mais il lui faut reconnaître son lieu, se repérer dans le monde mental du poète. C’est pourquoi ( il me semble ), elle ne commence pas à travailler, à s’exercer sur tel détail, ou alors, l’évoque-t-elle, c’est simple amorce, impulsion, point d’appui tout au plus et de rebond … Non, mon imagination va tout de suite à la création d’un espace, par une poussée ici, une poussée là, pour “faire de l’espace”, fût-ce un espace étroit. Et même souvent elle commence par un regard aux limites, aux confins.
Elle fixe le cadre toujours par des poussées ou des allées-venues, poussées du cul et de l’épaule autant que de la tête, je crois bien, poussées sans rien voir ou sans bien voir, à sentir seulement les résistances et les masses… Et là, alors, parce qu’il faut que les résistances et les masses se concrétisent, on ne reste plus dans le “pur” espace poétique : on entre dans l’espace du poème.
Le poème est un “jeu”, au sens médiéval (théâtral ; il y a une scène : le sonnet en x est une scène), — “jeu”, encore, parce que geste risqué, qui cherche la chance… Mais pour ce jeu, il faut du jeu, au sens cette fois de liberté, latitude, possibilité de bouger. — L’imagination a besoin des limi-tes de cet espace, mais elle a besoin d’abord de son ouverture, pour s’y déployer, y bouger, — avant de l’occuper, d’y installer ses créatures, peut-être alors jusqu’à l’obstruer.

Digression. Il y a un autre “espace poétique”, fondé sur la seule distance du sujet à l’objet. — Oui, c’est moins un espace qu’une ligne. — Les poètes qui s’établissent sur cette ligne cherchent la pure présence, du monde, d’eux-mêmes au monde. Ils n’ont rien à construire : ils veulent donner un accès direct au monde déjà là. Mais — comment ouvrir cet accès avec des mots ? ils s’obnubilent sur les mots et chargent chacun d’eux d’un tel poids de sens ! Oui, ces poètes sont conduits, plus nécessairement que d’autres, à s’interroger sur le langage, et par là leur poésie qui se veut en quelque sorte immédiate peut devenir terriblement intellectuelle. Tous ses éléments : pierre, branche, nuage … finissent par devenir des concepts.

Pour ma part, je ne pourrais de toute façon pas me tenir sur cette ligne, parce qu’avant de m’éprouver dans la présence pure, je suis d’abord (mon histoire l’a voulu ainsi), un fondateur et un refondateur. Refondateur de l’aventure poétique (dans son histoire), et fondateur d’un monde … ou est-ce aussi bien dans ce cas-là aussi “refondateur”, après tout : j’ai été le témoin (au sens passif) d’un monde dont je dois en retour témoigner (activement), en lui donnant forme, figure et profondeur : mais forme et profondeur littéraires, ou mieux poétiques, parce que ça n’est que par la littérature, plus spécifiquement la poésie, que je peux tenter d’en saisir et d’en restituer la réalité ; bref : j’ai bel et bien 1. à créer (recréer) un monde, et 2. à aménager l’espace d’un poème où il trouve son jeu et son assise. — Car ce monde et cet espace ne se confondent pas.
Arrêtons-nous à cela. Pourquoi ne se confondent-ils pas ?
D’abord, le monde dont il s’agit, qui est bien un monde intérieur, mental, mon monde, préexiste, même s’il prend forme dans et par le poème. — Que ce monde connaisse encore tel ou tel accroissement ou approfondissement dans le moment même de l’écriture, c’est toujours d’abord mentalement (même si pas toujours consciemment). L’écriture ne fabrique pas ce monde, elle le trafique, disons, l’ajuste et l’accommode à une forme. Le poème, qu’on le considère comme cadre ou comme chant, est concret. Le monde poétique reste mental (faut-il du reste parler de monde poétique : restons-en plutôt à monde intérieur, ou mental). Si un poème est dit “irréductible” (à l’analyse), ça n’est jamais en tant qu’objet qu’il l’est, même si certains de ses éléments concrets peuvent longtemps défier l’analyse : on en viendra à bout, et c’est par son contenu mental, son fond, qu’il s’échappe.
Ensuite, le poème ne prend dans son cadre (et dans son chant) qu’une partie du monde poétique de son auteur.
J’ai dit en commençant que l’espace poétique était celui du regard mental. Puis je me suis mis à parler de monde mental, mais est-ce que les deux coïncident ? Laissons pour le moment la question en suspens et opposons simplement l’espace poétique à l’espace du poème, qui est concret : cadre, chant.
Toujours la différence — irréductible — entre poésie et poème.
La poésie peut se déployer ailleurs que dans le poème : peinture, musique, roman, cinéma. A-t-elle même besoin d’un support ? Elle se déploiera dans la rêverie, l’hallucination … ou la vie quotidienne! On peut dire que la poésie est partout est que tout ce qui la porte est poème. — Mais je veux qu’on en revienne au poème-poème.
L’espace du poème est un espace-temps. Où l’espace est le cadre, le “champ”, et le temps le déroulement musical : le chant. Évidemment c’est plus compliqué que cela : le cadre est affecté d’un facteur temps et le chant comporte des éléments spatiaux. Chant et cadre peuvent paraître coïncider même (chant et champ?), c’est-à-dire que le chant peut apparaître comme le cadre, la forme.…Mais je crois qu’il faut continuer à distinguer cadre et chant : si le chant peut être contenu dans une forme (sonnet, rondeau), il n’est pas en lui-même cette forme. Le chant dans son principe est coulée — arrêtée, fixée ou moulée par le cadre du poème.

Avançons peut-être maintenant qu’en poésie “formalisme” ne signifie rien. — Toujours quelque chose dans le poème échappe au poème en tant que forme. Déjà, le fond, parce que c’est un fond sans fond, un fond qu’on ne trouve pas : forcément, il n’est pas là ! Le fond du poème est ailleurs. Même, chaque mot échappe au poème, puisqu’il se réfère à une réalité qui n’est pas là. Et secondement, le monde qui est “pris” dans le poème n’est qu’un bout de monde : tout le reste de ce monde est hors cadre. Prenons un tableau, même, et le plus radical : le carré blanc sur fond blanc de Malévitch … il y a, hors cadre : l’histoire de la peinture, l’histoire personnelle du peintre, une philosophie, un monde mental … Le tableau le plus “abstrait” ne peut jamais être seulement une surface colorée. De même, le sonnet le plus cadenassé ne peut jamais être seulement une concrétion radicale de mots.
Le recours aux formes est nécessaire. Il n’y a pas d’art, de poésie sans forme, sans cadre. Pas de contenu sans contenant. Le contenu d’une œuvre d’art, d’un poème, a besoin d’être contenu. Il faut qu’il soit dedans et tenu dedans. C’est aussi bête que cela. On en revient toujours aux tautologies. La forme est donc nécessaire. Mais un artiste, un écrivain qui fait passer la forme avant tout, qui décide d’être formaliste, au sens radical du terme, a forcément perdu de vue l’essentiel.
Un poème, c’est une forme — un cadre — où un chant devient possible, se déploie et s’arrête. Il devient possible parce qu’il ne pouvait exister sans forme. Il se déploie du moment que cette forme le “canalise”. Il s’arrête, parce que cette forme est un cadre, qui apporte ses limites.
Mais le poème est toujours plus que cette forme, parce qu’il a un contenu, un contenu qui est une force aussi, et qui est la poésie.
Le poème est une forme où la poésie se réalise. Sans cette forme, cadre et chant, champ et chant, elle resterait virtuelle.

Maintenant je vais regarder comment je travaille, comment mon imagination s’est mise à l’œuvre, et il me semble tout d’abord que je travaille comme un peintre (très tôt, les peintres m’ont fasciné autant et plus que les poètes, et je vais maintenant, et depuis longtemps, bien plus souvent voir les peintres que je ne retourne lire les poètes). C’est-à-dire que je travaille dans un cadre (et puis les cadres pourront se succéder, ce sera toujours un cadre) et que dans ce cadre, un peu à l’aveuglette, je dispose ou même j’essaie, disons, des formes, des masses, et couleurs… Mais surtout je recherche la profondeur et à voir les échelonnements. C’est du moins ce qu’il me semble.
Le romancier fait cela aussi, mais déjà son cadre est beaucoup plus vaste. Il induit pour être exploré et dessiné une successivité, une longueur de temps qui presque toujours doit obéir à un dépliement, même s’il y a des fronces et des replis ça va quand même d’un point A à un point Z, ça ne peut tourner autour d’un centre, que facticement : en fait le récit va, il y a un fil narratif, fût-il même davantage un faisceau passablement entortillé, — ça va de là à là.
Dans le roman, la force du temps qui se court après fait qu’on est de toute façon dans la longueur, on à à manger une ligne, et le cadre n’est plus vu, il n’y a plus de cadre, tout juste une succession de plans, c’est un film : le roman bascule fatalement dans le temps, il est aspiré dans la temporalité, même si certains romans paraissent jouer à retarder ce moment du basculement.
Dans le poème, même le long poème, la ligne du temps vite est pliée et repliée (au fond, c’est peut-être ça, le vers ! le repliement obligé de la ligne, qui fait qu’elle n’est plus une ligne), et ce qui se révèle le plus important, c’est le cadre.
Prenons maintenant l’œuvre musicale, en laissant de côté quelques expériences-limites où la musique va à la contraction du bruit… Il est clair que le temps est l’élément principal. La musique est un dépliement en longueur, même quand richement elle se déploie, c’est alors une longueur — large, en quelque sorte ! ça n’est pas le déploiement du tableau.
La peinture est le déploiement même, et l’élément temps s’y trouve, si ce n’est complètement écarté, marginalisé. C’est une “explosante-fixe”.
Le poème, dans ses formes courtes, ou même les longues, est davantage un déploiement (qu’autre chose), même s’il doit suivre le déroulement de la langue … Le déroulement est aussi un enroulement, il y a cette “dialectique”, ou ce développement contradictoire : centrifuge / centripète, qui donne au poème sa force et sa dynamique propres. — Qu’on retrouve cette dialectique dans la musique aussi, oui, sans doute, mais le centrifuge l’emporte alors nécessairement, parce que l’oreille ne peut tout reprendre en un coup comme l’œil devant un tableau : il n’existe pas de “coup d’oreille”, je crois. Quant au poème, sûrement l’œil-organe, mais au moins l’œil de l’esprit fait s’il le veut un bloc d’un sonnet de Mallarmé (*).
Si je pose comme acquis que la musique est bien un élément constitutif du poème, et que je regarde cela d’un peu plus près, je peux voir assez facilement qu’en réalité, curieux paradoxe tout de même, les éléments musicaux d’un poème sont tous ou presque tous centripètes. Ils “boulonnent” le texte, en quelque sorte, et le ramènent vers son centre. Ils sont moins des amers sur une ligne qui se déplie que des repères dans un tableau qui se déploie. Ils encadrent. Ils ne s’ajoutent pas tant dans une successivité, et s’ils marquent peut-être le déroulement d’un temps (peuvent donner le tempo, aussi, mais c’est autre chose), ils ramènent le temps du poème autour d’un centre, tandis que la musique du compositeur est essentiellement une fugue, est prise dans une ligne de fuite, centrifuge.
Dans le poème, quand il y a une ligne de fuite, le plus souvent c’est juste une petite sortie, point de fuite plutôt ou d’échappement. C’est l’esquisse, la suggestion d’une ligne de fuite, mais le “gros” du poème est bel et bien empaqueté, pris dans un cadre où les différents éléments s’autobloquent. — Deux ou trois de mes poèmes justifiés, vignettes, sonnets, ont un point de fuite “explicite” : la phrase commencée dans un premier poème se poursuit dans le second ( ou quelquefois c’est seulement un mot à cheval sur deux poèmes ). C’est assez amusant à faire mais je ne crois pas que ça aille très loin.

Je n’oublie pas que je parle de l’espace poétique.
— Dans cette idée d’espace, il y a celle de centre, parce qu’on a en jeu des forces centripètes et centrifuges, et dans un véritable poème, les premières finissent par l’emporter. — Certains de mes poèmes sont très longs, près de trois cents vers, et comme dépourvus de centre (mais on n’a pas encore dit ce que ce pouvait être, le centre) ; mais même dans ce cas, ça s’enroule plus que ça ne se déroule.

Les poèmes justifiés apportent beaucoup d’éléments expérimentaux et concrets à ces questionnements. Les miens peut-être davantage que ceux de Lucien Suel ou de Martial Lengellé, dont ils se distinguent nettement. Ils se rapprochent plus du tableau, et sans doute justement parce que le travail musical y est plus poussé (j’ai dit plus haut pourquoi une plus forte densité en éléments musicaux rapprochait paradoxalement le poème du tableau). — Ensuite, le récit y est beaucoup moins linéaire, il est brisé, lacunaire, et, en somme, redistribué picturalement.
(Les différences sont sans doute moins nettes. C’est vrai que Suel lit son poème justifié comme de la prose (sauf quelques pièces particulières). Il ne le scande pas. Il ne marque pas le vers dans la lecture orale. Il lui est arrivé plusieurs fois, même, de déverser (je souligne parce que c’est doublement le mot) son poème dans la prose sans que ça lui pose problème. Certes il a un monde, et quel monde! un monde à édifier, mais il ne le fait dans l’espace du poème que parce que la contrainte poétique lui permet … je dirais presque d’usiner le poème du monde. Suel produit le poème du monde, et je crois que l’espace du poème, en tant que tel, ne l’intéresse guère. Et de ce fait, chez lui, rarement le poème devient habitable. C’est plus une fabrique qu’une maison. Comme si le monde mental de Suel ne faisait que passer par ce poème.
Mais peut-être, ce qui me distingue le plus de ces deux poètes, c’est que mon travail poétique serre de plus près le “moment” de la création, parce qu’il s’y attarde. Il se donne le même cadre formel que celui de Suel et de Lengellé, mais au fond, chez eux, ce cadre équivaut presqu’à une ligne, parce que … eux vont de l’avant ! Ils se coulent dans ce cadre, mais ils le suivent, comme une ligne. Je le prends davantage comme une station, je ne veux pas filer déjà, je vois comment c’est en long et en large, et s’il n’y a pas un vieux recoin par là, où jeter un œil. Et où est le centre?

Centre. Il y a dans mes poèmes, fût-ce les très longs, une force centripète à l’œuvre assez puissante, même si je donne du mou par moments et laisse aller. — Je laisse aller, mais je reprends, je rattrape le poème en marche et le ramène à un centre, du moins je tâtonne toujours à la recherche d’un centre…

D’autre part, cela se fait en vers, et véritablement je “creuse le vers”.
Avant d’aller plus loin… une idée m’est venue, elle va paraître bête, sûrement : le poème est toujours en vers. Par exemple : la plupart des poèmes parus depuis plusieurs décennies, en vers “libres”, ne sont pas des poèmes. Parce que ces vers ne sont pas des vers. — Le vers-libre n’a de sens que quand il s’agit de mettre fin au ronronnement alexandrin (ou octosyllabique). Après quoi, c’est tomber dans un ronron pire. Le véritable vers-libre, c’est celui de Rimbaud. Parce que c’est un vers.
Ou encore : le poème-en-prose n’a de sens que quand il est devenu nécessaire de casser le vers, pour le refaire, à cause du ronron toujours, et de la sclérose de la forme. Le poème-en-prose n’a rien à voir avec ce qu’on a appelé la prose poétique (Chateaubriand, Maurice de Guérin). À mon avis, il n’a même rien à voir avec le poème en prose d’Aloysius Bertrand ou de Baudelaire. Ces derniers, en quelque sorte, donnent en prose la traduction d’un poème en vers. C’est ça : ils traduisent le vers en prose seulement… Le vrai poème-en-prose, c’est celui de Rimbaud (et de Mallarmé dans certaines pièces). Rimbaud, dans une grande part des Illuminations, lui aussi fait des vers en prose, mais dans un tout autre sens : opposé. Eux visaient à la prose, depuis le vers. Lui au vers, depuis la prose, et on voit bien que ça ne donne pas du tout le même résultat… Les poèmes en prose de Bertrand, Baudelaire, ne sont pas de la simple prose poétique, non ; mais pour autant, ce ne sont pas des poèmes. Ceux de Rimbaud, pour la majeure partie, et de Mallarmé (Igitur le plus nettement), oui : des poèmes. Disons des poèmes en prose qui seraient (malgré tout) en vers — ou quelque chose comme cela !
(Évidemment, on peut trouver des contre-preuves de ce que j’avance chez les uns et chez les autres…)

Je disais donc que je creusais le vers. On est dans la concavité du creuse-ment, même quand les images s’échelonnent sur un champ tout ce qu’il y a de plus convexe. Il y a un creux, et ce creux est le centre, ou l’indique. Plus on glisse au fond du creux, plus on se rapproche du centre.
Je disais tout-à-l’heure, oui : je parlais de point de fuite… Le véritable point de fuite n’est pas dans l’interstice que je laisse quelquefois en bas à droite du poème, par lequel il coule ou goutte un peu dans le poème sui-vant… Ça, c’est pour rire.
Le véritable point de fuite dans mes poèmes est là où il doit être : au centre même. Mais je ne sais pas où c’est, et tout-à-l’heure j’ai parlé d’échelonnement : attention ! je me suis bien gardé de parler de perspective. — La perspective est quelque chose qu’on voit bien, et là, il n’y a à voir rien de tel. Le centre de mon poème serait ce point aveugle, pour moi encore irrepérable, où, dans le creux du vers, l’énergie créatrice concentrée “passe de l’autre côté”, comme dans un trou noir.
Un poème ne vaut pas grand chose si ce centre lui manque. Et l’énergie qu’on me reconnaît, parfois, la force d’évocation, la liberté de l’imagination, etc. — c’est très peu, c’est bien le moins. Ma “musicalité” (pas si souvent reconnue, elle : les lecteurs de poésie n’ont plus beaucoup d’oreille), c’est du bruit.
— Il n’y a pas de poème si tous les éléments du poème, ou presque, ne convergent pas vers ce point aveugle que je dis, trou noir, centre présent / absent, ce creux dans le poème cadré, fortement cadré, et très riche de matière, très concret, qui est là. Je le dis, je ne le montre pas ( je ne le vois pas ) et il faut alors me croire sur parole. Je sais qu’il est là, ou il devrait y être.
Vienne un lecteur avec de vraiment très bons yeux qui voie ce centre, ce point de fuite absolument central autour duquel se construit et se détruit l’espace — l’espace poétique… D’avance, je le salue très bas.

Parce que par ce trou, on trouve le réel. Le poème ne vaut que s’il ouvre cet accès. L’espace poétique serait donc l’espace d’appropriation du réel. Ce qui ne signifie pas qu’on s’en rendrait maître… Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que j’ai voulu dire, là… Peut-être, que par le poème, le réel est alors approprié à lui-même, et à nous.

Amiens, un soir de grande fatigue, déc. 2006
(et reprises en janvier, février, mars 2007).




(*) Bon, oui, chez certains, l’oreille de l’esprit peut faire un bloc d’une sonate de Schubert …


*


QUELQUES REFLEXIONS SUPPLEMENTAIRES

1. Ce qui précède se termine d’une façon un peu panique, et l’on voit bien que j’ai perdu le fil à un moment.
En effet, j’avais bien insisté sur le fait que l’espace poétique ne pouvait se confondre avec l’espace du poème. J’avais parlé aussi du “monde” poétique”, en me demandant si je devais le distinguer de l’espace poétique, et j’avais laissé la question en suspens.
Au dernier paragraphe du texte, non seulement il n’est toujours pas répondu à cette question, mais on pourrait croire que l’espace poétique s’est ramené à l’espace du poème, que l’on est retombé dans cette confusion, puisque c’est bien du poème que je parle à ce moment-là.
Et pourtant, la phrase «L’espace poétique serait donc l’espace d’appropriation du réel» me paraît valable, si on remonte un peu plus haut.
L’espace poétique n’est pas le monde intérieur d’un poète. C’est plutôt le lieu (et le moment) où ce monde se resserre et se dispose en vue du poème sans se “carrer” encore en lui, ni être embarqué déjà par le chant. C’est en quelque sorte la zone frontière, le no man’s land, théâtre d’ombres où on est toujours dans le mental, mais où les doigts commencent à s’agiter et à chercher les briques du poème, et où la gorge commence à grommeler pour attraper la première note du chant.

2. Je pensais parler surtout de l’imagination, et je n’en ai en réalité pas dit grand chose …
Ce qui m’intéressait, c’était au fond de montrer l’imagination au travail, mais il me faut constater que, sur ce sujet, j’en sais très peu, et la raison en est bien simple : quand j’écris un poème, c’est dans un état de concentration et, à la fois, de confusion, extrême. Les deux ne se distinguent pas. Et je suis trop occupé à faire pour me regarder faire.
Je vais tout de même avancer ceci: l’espace poétique est le lieu et le moment où l’image prend forme, devient véritablement image. Où l’imaginaire (passant par la langue, la profération se fixe dans l’image. Mais l’image n’est pas fixe, elle garde toute la mobilité de la faculté imaginante, qui n’est jamais en repos. C’est pourquoi elle reste “irréductible”. Elle est la charnière, elle appartient à deux mondes: celui où elle est “fixée”, cristallisée; et celui où elle garde toute sa virtualité, toute sa puissance, tout son mouvement. Elle est fixée dans son mouvement, et, par définition, son mouvement ne peut être fixé ni arrêté.
Ce qu’on appelle image, c’est un mouvement. Et sa saisie, par la langue, qu’on peut appeler sa formulation. L’image n’existe pas si elle n’est pas “saisie”; mais, d’autre part, sa saisie ne doit pas l’arrêter dans son mouvement. Explosante-fixe.

3. Autres considérations sur l’image:
L’image poétique est une irrégularité, une dissonance, quelque chose qui arrête l’esprit, le bouscule et l’interroge. Par cette irrégularité, dissonance, bizarrerie, incohérence, l’image casse et ouvre, elle est effraction. Il en va de même en musique : c’est la dissonance qui ouvre l’œuvre, pas la clé. Et en peinture, l’irrégularité. C’est ce qui a donné dans le derniers tiers du XIXe siècle un si grand avantage aux peintres qui ne savaient pas peindre : les deux plus grands peintres, et de loin, de cette époque extraordinaire, ne savaient pas. Or, il fallait justement que la peinture se désapprenne; les autres (Manet, Monet…) ont désappris, mais ils restaient malgré tout des peintres sachant peindre. Pour Cézanne, Van Gogh, il en allait tout autrement: ils ne pouvaient vraiment s’appuyer que sur les manques et défauts de leur peinture. — Voilà qui nous rapproche de l’image poétique, parce qu’ils sont dans le défaut, l’irrégularité, — et l’effraction.
Ce qui vaut le plus pour moi dans l’image, c’est l’instantanéité, ce déchirement brusque: parce qu’il déchire le voile de la vision ordinaire et nous montre le réel tel qu’il est.

Quelqu’un comme Albarracin, à traquer le secret de l’image, à courir le nez sur la piste, par les bois fabuleux… il est toujours au cul de l’image, il ne lui lâche pas les basques. Il ne leur laisse pas le temps, aux images, de se détacher l’une de l’autre, il les saisit en pleine métamorphose, en pleine scissiparité, c’est kyrielle et fondu-enchaîné. Ça m’étourdit, mais je n’ai pas le temps de voir, de sertir (parce que voir c’est aussi sertir) , ça me repousse tout le temps sur le côté, ça me tient en lisière.

ll y a des poètes — ce n’est pas le cas d’Albarracin, qui a un grand souci de vérité, de sincérité — qui ne se conçoivent pas autrement que comme des poètes à images, à flux tendu d’images, je pense à René Char notamment, parce que pour eux un Grand Poète doit vivre la tête dans les ima-ges, laisser tomber de là des apophtegmes et sentences qui sont encore des images, ou des images d’images, des resucées d’images, ou que sais-je? (tout cela tellement fabriqué, mais habilement fabriqué — du grand art! mais faux, à preuve : les universitaires se jettent là-dessus pour tourner leurs sujets de dissertations; les hommes politiques pour montrer dans leurs discours qu’ils ont de la “culture”). — Posture du poète noble.
Je l’ai dit, ça n’est pas celle d’Albarracin: lui roule à terre avec l’image, en quelque sorte, il est trop jeune chien pour jouer au grand homme, il se fiche des discours et des dissertations, et surtout il a une morale lucide.

Avec Albarracin, on est sur une ligne. Il ne s’agit pas d’une ligne droite, elle est pleine de boucles, cette ligne, elle revient sur elle-même, etc.; mais, il me semble, ça reste toujours une ligne, le lecteur ne peut faire autre-ment que de la suivre, il est tiré comme par un hameçon, ça bouillonne autour de lui, il est complètement groggy, il ne peut prendre aucun recul, à peine le temps de respirer, il ne peut habiter cette poésie-là, il ne peut que filer avec elle. — Ou elle le rejette sur la berge.
Et le poème entier est fuite. Il ne créera pas d’espace.
Évidemment, ça coule de source, ça suit la pente, qui est celle de l’inspiration. Mais je crois que la poésie a beaucoup à gagner si elle résiste à cette pente. — Albarracin lui-même a tenté de le faire avec ses poèmes arithmonymes des Fruits de la gravité. Mais, obligé de travailler sur chaque mot, de juguler le flux, de résister à la pente ( t c’est curieux, alors, qu’il ait appelé ces poèmes fruits de la gravité), il ne s’intéressait qu’à regarder l’image sourdre, et comment elle se tordait sous sa contrainte … il ne pensait pas du tout à l’espace poétique, je crois, encore moins en termes de cadre. Cela n’est venu qu’au moment où il s’est mis aux sonnets.

On retourne maintenant devant le tableau. Il y a un cadre, qui casse la linéarité et instaure un espace (d’abord une surface). Mettons que ce tableau soit un poème, eh bien on a un cadre, on va travailler dedans comme un peintre. On travaille les masses, etc. , la matière. On pétrit et on étale la matière, on dispose les masses. À travailler la matière on oublie qu’on est un Poète et qu’on a de Grandes Choses à dire, de Grandes Images à apporter. On désapprend les tics et les trucs du poète, on ne sait plus rien, on ne sait pas ce qui va arriver (1). On travaille presque comme un maçon, on construit un mur de mots, mais il faut que ce soit un mur parlant, et chantant: un poème. Ça exige beaucoup de travail, parce qu’il y a beaucoup de matériau qui arrive, c’est un éboulement, il faut étayer, colmater. Et dans ces matériaux il y a des images mentales, demi-vues, des souvenirs et fantasmes, enfin, il y a des choses qui se montrent à l’œil de l’esprit, et on ne va pas tout prendre, tout garder, on prend la pierre qui correspond au trou qu’on a là, et on ne veut pas construire seulement un mur, une paroi, mais on sent bien qu’on fait une demeure, une maison pour le monde qui se presse là.
On est une sorte de facteur Cheval, on ne dispose pas de tellement de temps, on n’est pas très riche d’outils, ni d’art… Alors il y a des irrégularités, des malfaçons, des “dissonances”, mais on comprend qu’il faut faire avec, parce qu’on ne sait pas faire un poème, ou on contraire on le sait trop. Soit il faut désapprendre, et on désapprend en apprenant à faire autrement, — en travaillant avec le rebut, la pièce défectueuse, etc. — Soit on n’apprendra jamais assez dans la voie des Maîtres, des Grands Poètes, par-ce qu’on est un petit, un humble, un sous-doué, et alors, attendez que je retrouve la citation, elle est quelque part dans ce tiroir, la voilà: «Les minorités [ lisons les laissés-pour-compte et loosers, les minorisés, si vous voulez ] les minorités deviennent fortes quand elles se servent de leurs propres atouts sans essayer d’imiter ceux de la majorité.» C’est Annette Messager qui le dit ( citée dans le Petit dictionnaire des artistes contemporains, Larousse, 2003 ).

Je parlais des images — au sens d’images poétiques. Il en va dans le poème des images comme du reste. On a les images qu’on peut, mais il se peut que les images d’un poète-travailleur, poète plâtrier ou maçon, — eh bien les images sont toujours données de toute façon, ou elles sont fausses, fabriquées, et leur inauthenticité apparaîtra bientôt. Je veux dire que cette manière d’écrire — celle des sous-doués de l’écriture — parce qu’elle est très risquée et hasardeuse, qu’elle compte beaucoup sur la chance… alors la chance, justement, elle la provoque, par l’ouverture même de l’esprit, béant, qui reçoit tout comme ça lui tombe sur le groin.
Or, l’image est l’effraction. Par quoi entre le réel. Elle rompt le cours du poème — pour le lecteur: l’auteur, lui, il a à peine le temps d’apercevoir les images, il lui en choit sans qu’il les voie; parfois, il en ramasse bien une qui a quand même besoin d’un coup de burin, d’une petite retouche, il l’a vue du coin de l’œil, l’image, et qu’il lui fallait sa retouche… Donc l’image rompt le cours du poème. Mais elle ne fait pas que briser sa linéarité : elle troue sa surface, quand le poème a pu devenir une surface. ( Par ce trou entre le réel ). Et elle en creuse l’espace, quand le poème a pu construire son espace.
L’image est perpendiculaire au poème. Elle vient en travers. S’il est une ligne, elle le coupe. S’il est une surface, elle le troue. S’il est un espace, elle l’ouvre, mais alors sans le faire éclater. C’est plutôt qu’elle donne accès à son arrière-monde, ou — oui, ce serait mieux de dire son anti-espace. C’est-à-dire au réel : l’anti-espace du poème, c’est le réel. Et il rentre dans le poème par tous les trous du mur.

Encore un mot sur le cadre… Rimbaud en vient à la prose, dans les Illuminations, parce qu’il cherche un cadre. — Quelque chose de carré ; et de concret, de dur ; dont le vers le tenait éloigné. Il casse le vers pour trouver cette surface, échapper à la linéarité, c’est un pas en avant dans l’espace poétique. — Il a cherché d’abord dans le vers même (Mémoire), mais il finit par s’installer dans la prose, parce que la prose occupe toute la surface de la page (Villes). Le mouvement même peut s’enrouler dans la page pleine, gagne à le faire. À des moments, il s’exprime mieux dans le vers (Marine, Mouvement) — peut-être — , mais Rimbaud est très pictural dans les Illuminations, c’est presque un parti-pris, on le sent, alors il en vient à la sur-face, qui est la page saturée. Il prend le cadre, et dans ce cadre il arrive avec son espace poétique.
La poésie vise à la saturation, au remplissage complet de la page (2), mais pas comme la prose, qui le fait mécaniquement. Non, la poésie est toujours en vers, et toujours plus.

(Janvier, février, mars 2007)


(1) En art la vérité, le réel commence quand on ne comprend plus rien à ce qu’on fait, à ce qu’on sait, et qu’il reste en nous une énergie d’autant plus forte qu’elle est contrariée, compressée, comprimée.
Matisse, Jazz.

(2) Ou d’une partie de la page. Mallarmé n’accorde tant d’importance au blanc que pour mieux encadrer le poème, mieux l’enfermer, et aussi faire ressortir, par le contraste du vide, sa densité.


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(réaction de Laurent Albarracin dans une lettre à Ch'Vavar datée du 20/10/07)

Je te remercie de me traiter de jeune chien. Tu aurais quand même pu m’épargner le cul des vaches! Mais enfin oui, je suis assez d’accord avec ce que tu dis de ma manière : l’image m’intéresse quand elle naît, dans son surgissement, dans ce perpétuel renversement qu’elle est, pas tellement quand elle est installée dans un surplomb, dans ce qu’on pourrait appeler sa tour d’ébène n’est-ce pas et qui serait cette obscurité un peu hautaine à la René Char. Poète que je n’aime pas tellement (malgré les géniaux Feuillets d’Hypnos tout de même). Donc “ligne”, oui, je veux bien, même si ça n’est que la fulgurance et la verticalité qui m’intéressent et pas vraiment l’espace poétique dont tu parles, en effet.
Puisque tu nous demandes un avis, il me semble à moi que ton texte est assez clair (peut-être pas dans sa globalité puisque tu explores plein de directions, que tu pars un peu dans tous les sens, mais dans l’expression, dans la formation et la formulation des idées). En tout cas il est très riche. Plein de choses que j’ai aimées : la musicalité qui paradoxalement resserre le poème ; l’explicitation de la fameuse “explosante-fixe”, parfaite. Bien aussi la digression sur les poètes qui prétendent à l’immédiateté et qui finissent par conceptualiser (j’imagine que tu vises les Dupin, Du Bouchet?).
Quant au fond du propos, à savoir le poème organisé autour d’un centre qui serait en même temps le point de fuite, voilà un paradoxe qui me plaît bien. Autour duquel tu tournes avec des efforts d’analyse et de distinction fort louables! Et même si j’aurais tendance (tu connais mon goût) à préférer la tautologique fulgurance de la fin du 1er texte (le Réel est approprié à lui-même, j’aime), tout le reste est bien aussi qui précède cette abyssale synthèse quelque peu vertigineuse. (…)


*


(réaction de Charles-Mézence Briseul, 19/11/07)

[…] Ton idée de définir l’espace poétique est intéressante. J’en retiens que l’espace poétique est le lieu et le moment où le monde intérieur de l’artiste se resserre et se dispose en vue du poème. Ce qui le distingue de l’imaginaire (stock brut) et de la scène du poème (paysage, décor). Tu désignes les structures a priori de la création poétique comme Kant définissait les conditions a priori de l’expérience : l’espace et le temps. L’espace poétique est la condition de possibilité de toute poésie. Le poème-poème donne forme à l’espace poétique en lui donnant un cadre, le champ, et un temps, le chant.
Mais dis-tu le champ fixe le chant. Tu insistes beaucoup sur l’espace (du poème), sur le cadre au détriment du temps, seul le roman «bascule fatalement dans le temps, il est aspiré dans la temporalité». Roman et musique (mais aussi cinéma, voir ce que dit Tarkovski là-dessus) seraient dépliement quand la poésie seule est déploiement. Là je ne te suis plus.
Je comprends bien pourquoi tu as besoin que le poème soit plus dans un cadre que dans une fuite car tu cherches à tout prix le centre (point à redéfinir rigoureusement), le trou qui t’ouvrira à ce que tu cherches vraiment, au fond. Tu parles du coup d’œil qui embrasse dans un seul mouvement le tableau, et il n’y a pas de coup d’oreille… Pour des raisons aussi simples que techniques, le coup d’œil en poésie est dans le meilleur des cas un rêve (chez Garnier par exemple). Il y a le flux civilisationnel de la syntaxe et le choix de la prose ou du vers n’y pourra rien changer. Je crois que ce flux tout comme la scission entre le mot et ce qu’il signifie jettent le poème dans le temps. Moins certes que pour la musique, le roman ou le cinéma, mais quand même. Oui, je suis d’accord avec toi, la force du poème-poème, c’est bien de cadrer l’espace poétique et de lui donner un temps autre, mais temps quand même. Peut-être est-ce là qu’il faut réfléchir : quel est ce temps autre dans le poème-poème ?
Ce temps autre assez simplement peut être la nostalgie (deux poèmes seulement, dans Les Fleurs du Mal sont au futur) et bien sûr ce temps c’est le présent, l’attention, le souci de ce qui est en tant que ce qu’il est (et non parce qu’il vaut ou vaudra quelque chose). N’oublie pas que dans ton grand poème Hölderlin au mirador les temps du passé dominent, même si tu commences par un impératif (lecteur, fais donc toi-même l’expérience du temps qui s’arrête, sois attentif, à lire ma nostalgie qui chante encore, tu en seras bien persuadé). C’est uniquement parce que le poème-poème doit nous mettre le groin dans la pâte du réel qu’il n’a que faire du futur ou du conditionnel. Seuls le passé qui culpabilise, le présent qui est souci de ce qui est en tant qu’il est, et l’impératif qui nous met la tête dedans, priment.
Autre élément important : l’image. C’est bien elle, peut-être seras-tu d’accord, qui troue le poème, etc., c’est bien elle, oui, qui brise la temporalité temporelle, si tu veux, pour l’autre temporalité, celle de l’être, qui n’en est plus une. Alors l’image poétique, comme écart (ce qui présuppose un point d’appui, à évaluer, donc), n’a plus lieu d’être ; seule compte la “métaphore vive”, l’image qui ne transfère plus rien d’un point à un autre, mais qui seulement tente de coïncider avec l’être qui ainsi se donne. L’image serait alors approximation, tâtonnement, éclat fugitif, mais jamais, non, plus jamais grand écart entre le petit monde prosaïque et le grand monde des grands poètes.
Reste enfin à se demander comment l’image peut devenir image et non plus trope. Tes réflexions sur l’espace poétique sont une piste sérieuse. Ça permet de mettre hors course les formalistes et de penser les conditions d’accueil de l’image. Mais le temps est là, vieux reste du péché originel, non ?

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