lundi 19 mai 2008

qui vive de christophe manon 2


Le moment venu seras-tu capable de faire ça, camarade ?
Seras-tu capable d’appuyer sur la gâchette et de tirer ?
Pourras-tu donner la mort sans hésiter ?
Même pour survivre quelques heures, quelques jours peut-être.
Est-ce possible ? Comment en es-tu arrivé là ?
Il faudra bien cependant puisque telle est la situation.
Survivre jusqu’au lendemain. Plus peut-être.
Un sursis pour un être en sursis dans un monde en sursis.
Pourtant n’oublie pas, camarade, la mitraillette est une machine
parfaite pour tuer, mais inutile pour se protéger.
Se protéger de la mort. La sienne ou celle d’un être proche.
Du froid, de la solitude, du désespoir, du non-sens.

T’es-tu jamais demandé à quoi peut ressembler la mort, camarade ?
A-t-elle même une apparence ou n’est-ce qu’un brouillard,
une vapeur, le néant qui s’empare de l’être ?
Voit-on une image, un visage, un masque peut-être,
pareil à ceux des acteurs japonais ou des tragédiens grecs,
autrefois, quand il existait encore des acteurs et des tragédiens ?
Entend-on quelque chose ? Un cri ? Un chant ? Le sifflement
d’un oiseau ? Le cliquetis métallique d’un verrou ?
Que ressent-on à cet instant ? A-t-on peur ? A-t-on froid ?
A-t-on chaud ? Ou bien soudain se sent-on apaisé,
comme lavé de toute crasse, reposé de toute fatigue ?
Est-ce une sensation commune à tous les êtres
ou différente pour chacun ? Saisit-on en un instant,
comme on le dit parfois, de quoi est faite une vie humaine,
ce qui, dans cette vie, est le plus important ?
Revoit-on en accéléré, par flashs, le film des moments,
heureux ou non, qui ont comptés pour nous ? Son approche
sera-t-elle effrayante ? Sera-t-elle pour toi une ennemie
décidée à t’arracher à la terre pour t’entraîner dans la nuit scintillante ?

Bientôt ton tour viendra, camarade, et tu n’y a jamais songé.
Ta ténacité, ton obstination têtue t’ont toujours poussé
de l’avant sans que le doute ne t’effleure jamais.
Mais instinctivement, dans ta brutalité épaisse, pleine de bon sens,
tu n’ignores pas que cela ne sert à rien de penser
à la mort, car aussi préparé qu’on soit, elle se présente
à chacun de façon inédite. Simple. Limpide. Évidente.
Comme la trajectoire d’une balle qui touche au cœur sa cible.



Dans l’enchevêtrement tu es maintenant incapable de distinguer
les pattes des serres et des griffes tournoyantes,
les serres et les griffes tournoyantes des pattes,
les griffes tournoyantes serres pattes des explosions de grenades à main tapis de bombes éclats de mitraille,
les griffes tournoyantes serres pattes explosions de grenades à main tapis de bombes éclats de mitraille de tes branchies babines crocs ventre à toi
dans l’instant de sang gélatine viande provisoirement nommé
combat. N’ayant pour les coups contre ta propre substance
nul autre baromètre que la douleur ou plutôt
la montée soudaine de douleurs multiples et ininterrompues.
Dans cet anéantissement continuel sans cesse
réduit à tes éléments les plus petits et te rassemblant sans cesse
à partir de ces débris dans une reconstruction continuelle.
Te voilà maintenant bien plus grand qu’un homme,
et il te semble que tu es toi-même le danger, camarade,
et à l’intérieur de ce danger, tu es le noyau.



Maintenant tu as mal, camarade, d’une douleur sans âge,
celle qui parcourt à gros bouillons de sang
la longue histoire de l’humanité. Maintenant
tu voudrais cesser d’entendre et de voir,
te transformer en plante ou mieux encore en pierre,
incapable d’un cri ou d’un geste, et tu voudrais sombrer
dans un long sommeil qui n’arrive pas.

Maintenant tu as mal, camarade.
Tu agonises ou tu es déjà mort. Peu importe.
Tu fermes les yeux et te recroquevilles en position fœtale.
Tu voudrais simplement rejoindre ton terrier natal,
te coucher dans ta ruche tout confort pour une longue nuit
sans rêve. Désireux maintenant de dormir en paix.

Tu ignores qui tu es, où tu es, et ce que tu fais, camarade.
Tu ignores si tu te trouves au centre ou à la périphérie de la mort.
Et quelle importance d’ailleurs ? Lèvres clauses, tu cherches.
Tu cherches des mots, mais dans quelle langue
et pour communiquer avec qui ?
Les yeux écarquillés comme un animal
sauvage surpris dans sa fuite, tu protestes.
Tu ne comprends pas et tu protestes.

Ne t’en fais pas, camarade. Dans ce monde mourir
n’est pas difficile. Vivre l’est beaucoup plus.
Vivre n’a de sens que relié aux nombreux cercles
de l’espace noir. Ne t’en fais pas. Ta mort était
déjà ancienne quand ta vie commença.
Mais est-ce mourir cette incompréhension,
cette surprise, la bouche ouverte, les bras ballants ?
Tu fermes les yeux, camarade.
Tu fermes les yeux et tu vois maintenant.
De ton lointain passé surgissent des souvenirs
que tu croyais disparus à jamais :


travail en cours & à suivre

1 commentaire:

Kohn-Liliom a dit…

C'est super mon vieux, je faisais des recherches et tu m'as retardé le temps que je te lise, tu te rends compte ? A plus, Collignon.