dimanche 2 décembre 2007

Sur les sentiers de Qohéleth

Est-il possible aux êtres parlant que nous sommes d’entendre, dans le langage qui est le nôtre, une parole qui parle dans un autre langage, une parole qui serait celle de Dieu ? Et où peut-elle encore retentir cette parole, dans quelle bouche, par quelle oreille et dans quel livre ? C’est à partir de ces questions et de leur oubli – qui parle et dans quelle éternité concrète ? – que prennent appui les poèmes d’Agnès Gueuret. Le Pas du temps, publié en 2006 chez le même éditeur, proposait une lecture poétique de l’Evangile selon Luc. Sur les sentiers de Qohéleth déchiffrent, effacent et renouvellent l’Ecclésiaste (ou Qohéleth), dernier livre à avoir fait son entrée dans la Bible hébraïque. Nous savons, grâce à Charles Mopsik notamment, que la pensée rabbinique doit à ce texte sa vision critique du désir humain et son refus d’accorder une valeur absolue à notre monde. Une vie, en effet, doit s’éprouver dans une généalogie divine, indépendamment du temps mondain. Dévoilant poétiquement la pensée de l’Ecclésiaste, Agnès Gueuret sait que la loi de la nature, la loi en générale, ne repose sur rien si elle n’est pas suspendue à l’intériorité radicale et muette d’un être libre.

…tout n’est que vent / oubli, malheur / sous le soleil / brume évanouie / sur l’océan !

Il existe un autre temps que celui des générations qui se succèdent et des rythmes violents de l’histoire. La poésie, quand elle reprend en charge les enjeux de la théologie, sans soumettre pour autant son langage à je ne sais quelle orthodoxie religieuse, brise symboliquement la chaîne des époques. Et c’est maintenant – en cet instant – que la poésie décide. La décision, pour Kierkegaard, est comme une bête de proie qui bondit sur sa victime, elle est intense, soudaine et une, elle est le plus tendu des sauts, l’acte intime dans son déploiement pour Gueuret.
Ne me faut-il pas aller jusqu’à comprendre que le seul point de la terre et des cieux où je puisse appréhender le divin est en moi à l’intime, là où justement s’éprouve la durée ? L’impossible connaissance que j’ai de Dieu, que j’ai de moi, se résoudrait alors dans l’acte en lequel je me remets à l’inconnu qui me traverse et se signale en mon désir, telle une force qui me saisit, semblable à celle du bourgeon en train d’éclore et allant me pacifiant lorsque j’y consens.
S’appuyant sur les traductions et les travaux de Meschonnic (rappelons notamment que vanité, tout est vanité, se transforme chez Meschonnic par buée, tout est bué, tandis que Chouraqui propose fumée, tout est fumée), les trois palimpsestes qui composent ce recueil parviennent à mêler le sens à la matérialité sensible des mots. Fluidité, tension musicale, infinité de possibles, le rythme ici est ce qu’un corps peut pour le langage et il faut saluer Charles-Mézence Briseul, éditeur du corridor bleu, pour la haute tenue de son catalogue.

Pascal Boulanger

(article à paraître dans la revue EUROPE en mars 2008)

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